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23 février 2011

Le printemps russe

Le printemps russe / Norman Spinrad,1991 / Editions Denoël pour la version Française, 1992


 

Printemps_1Norman Spinrad

Né à New York en 1940, installé à Paris depuis 1988, Norman Spinrad s'est attaché à faire de la Science Fiction une littérature engagée, critique face aux grands enjeux contemporains. Auteur de plusieurs dizaines de nouvelles et d'une quinzaine de romans dont certains ont fait date dans l'histoire du genre, journaliste, essayiste, il décline brillamment tout au long de son oeuvre, ses craintes et ses doutes face aux potentialités corruptrices du pouvoir, politique autant que médiatique. Il s'est fait une réputation en abordant des sujets sulfureux, tous plus incorrects politiquement.
Le Printemps russe, éblouissant tableau d'une éventuelle destinée soviétique, a été salué comme son chef-d'oeuvre par la critique américaine.

Présentation de l'éditeur

Imaginez une terre au destin différent.

Tandis que les Etats-Unis s'enfoncent dans la récession, le protectionnisme et la paranoïa, une nouvelle Union soviétique, poursuivant la trajectoire entamée par Gorbatchev, s'intègre à une Europe en passe de devenir le première puissance mondiale et vers laquelle convergent toutes les énergies.

C'est en Europe que Jerry Reed, jeune ingénieur déçu par l'orientation désormais exclusivement militaire de la NASA, se réfugie pour poursuivre son rêve d'aller dans l'espace; et que vient travailler Sonia Gagarine, fille du Printemps russe éprise de liberté. Leur histoire se confondra avec celle de la grande Europe en marche, au milieu des crises qui secouent ce début de XXIème siècle.

Extraits

Sur les rapports frère et soeur: 

Alors qu'ils passent leur temps à se chamailler, Bobby vient de soutenir sa soeur qui veut aller en Russie pour devenir cosmonaute.

"Franja ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil sur Bobby pendant que son père signait les formulaires. Non, il n'avait pas l'air différent... Il n'était pas apparu d'auréole au-dessus de sa tête.

Elle ne voyait vraiment pas ce qu'il avait espéré gagner en faisant ça. Elle trouvait difficile de croire qu'il avait agi sous le coup d'un soudain accès d'amour fraternel.

Cela ne laissait qu'une possibilité, si invraisemblable fût-elle. Il avait agi ainsi parce que même Bobby savait que c'était la seule chose à faire...

C'était peut-être vrai. Son petit frère était peut-être un être humain, après tout."

Sur l'utilité d'un personnage habitué aux coup de bluff: 

Comme lors de la crise des fusées à Cuba en 62, la tension est-ouest est devenue insupportable, le monde vit dans l'attente d'une conflagration nucléaire, ici grâce à la bêtise du président précédent, ce cow-boy qui a encouragé l'Ukraine à quitter l'Union soviétique et lui a fourni des fusées: les Ukrainiens ont fait un test sur la place rouge et les Russes ont exigé le retrait de ces fusées...

"Au nom du peuple américain, je présente publiquement au peuple soviétique mes plus profondes excuses pour l'indécrottable stupidité de mon prédécesseur à tête de piaf...

J'exprime les condoléances du peuple américain pour les dommages infligés au coeur de leur capitale et en propose la réparation sous supervision soviétique aux frais du gouvernement américain...

Maintenant, je suppose qu'il me faut répondre à l'ultimatum du maréchal Bronksky, poursuivit Wolfowitz d'une autre voix, sur un ton traînant. Eh bien, je crains malheureusement de ne pouvoir me plier à ses exigences, vu que je vois aucun moyen de reprendre aux Ukrainiens les missiles que Harry Carson leur a donnés sans déclencher la Troisième guerre Mondiale...

Que puis-je vous dire, maréchal ? Je suppose qu'il ne vous reste plus qu'à agir et lancer votre première frappe sur nos principales concentrations urbaines...

Mais souvenez-vous bien que nous nous sommes ruinés pour construire un système défense anti-missile muni de toutes les sécurités que l'argent des contribuables a pu nous offrir. Et qu'après avoir détruit la plus grosse partie de vos missiles, nous lècherons nos plaies avec la majorité de nos forces stratégiques encore intactes...

Et nous ne trouverons pas ça drôle, poursuivit Wolfowitz. Réfléchissez-y, maréchal Bronksky. Sur ce, bonne journée."

Encore un clin d'oeil ? Comment ne pas penser à la fin de "Docteur Folamour", de Stanley Kubrick?

Printemps_2Commentaire

Ouvrage de Science Fiction, oui, mais fortement inspiré de l'histoire contemporaine. 

Précision dans l'analyse des jeux de pouvoir, sobriété des extrapolations scientifiques et richesse des caratères en font un ouvrage incontournable.

Ce roman est d'une actualité surprenante: l'ouverture du mur de Berlin, le concert improvisé donné par M. Rostropovitch, puis la révolution orange en Ukraine, la tentative de putsch militaire, c'est encore hier. Ce qui se passe en ce moment de l'autre côté de la méditerranée fait écho à la chute des Caucescu, incroyablement rapide. 

Comme souvent, l'auteur part de sa propre situation: américain francophile installé à Paris, ayant pris ses distances avec le homeland il ne se prive pas de l'égratigner, tout comme le conservatisme du parti chez les Russes.

Spinrad pose le problème de l'utopie communiste, un peu comme Van Vogt dans "le monde du Non-A" mais d'une façon beaucoup plus proche de notre univers.

Il n'hésite pas à agrémenter le roman d'une touche de poésie: le héros (et sa fille) qui veulent voir la terre depuis l'espace sont un clin d'oeil à Stanley Kubrick dans "2001 Odyssée de l'espace" mais aussi peut-être à Hergé dans "On a marché sur la lune", ce qu'il condense en voulant à tout prix "marcher sur l'eau".

C'est l'obsession du héros. "Tu pourras marcher sur l'eau, mais il te faudra pour cela renoncer à tout le reste, absolument tout", lui avait glissé son oncle Rob, rejeté par le système pour s'être accroché à son rêve, préfigurant son propre destin, où il serait jeté après usage.

A Paris, Spinrad fait se rencontrer Jerry Reed, jeune ingénieur et Sonia Gagarine, jolie brune au nom évocateur, et très libérée: lui détient un savoir faire et une idée (comment bricoler un gros lanceur à partir d'une navette curieusement nommée concordsky) elle va amener les moyens russes dans sa corbeille de mariage.

Tous les éléments du drame sont là, plus un joueur de poker un peu anar qui pourrait devenir un président acceptable surtout en temps de crise, au moins autant qu'un ancien acteur de western, c'est ce que pense l'auteur.

Alors, peu crédible, sans doute, mais très réaliste et proche de l'histoire. Ensuite, opposer deux continents, deux systèmes, l'étoile rouge à l'étoile d'amérique, et montrer à quel point ils sont semblables à force d'être opposés, c'est son choix.

Parallèlement aux nations, le jeu d'amour-haine se déroule dans la famille entre Jerry et Sonia, et entre frère et soeur qui n'ont d'autre choix que prendre parti, ce qui n'empêche pas la raison de s'imposer parfois. Il se vérifie qu'en famille - mais peut-être aussi ailleurs - on ne peut gagner que si on accepte la possibilité de perdre...

Norman Spinrad a beau se définir comme rebelle et anarchiste, il nous offre pourtant une fin diablement optimiste. Pour ma part, j'ai pris un plaisir rare à cette lecture, et c'est tout le mal que je vous souhaite !

 

D'autres ont lu Le printemps russe :

Sylvain, ICI , a aimé

Guillaume,  , un peu moins

 

Pour mémoire, dans un genre différent, vous pouvez consulter l'essai de Emmanuel Todd "Après l'empire"(Folio, 2002). C'est le même empire que chez le réalisateur canadien Denys Arkand ("Le déclin de l'empire Américain" dans les années 70, en pleine guerre froide), sauf qu'il nous dit: "Il n'y aura pas d'empire Américain".  La première phrase: "Les Etats-Unis sont en train de devenir pour le monde un problème. Nous étions plutôt habitués à voir en eux une solution."  Tout y est.

 

 

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