Don Giovanni à Aix
Mise en scène Dmitri Tcherniakov, Choeur English Voices et orchestre Freiburger Barockorchester, dir Louis Langrée
Je n'étais pas à Aix en Provence, mais sur Arte hier soir. La TV HD permet de suivre la représentation dans d'excellentes conditions. Il manque bien sûr la proximité des acteurs, la magie du lieu, l'ambiance et le plaisir d'en être, ce qui fait beaucoup finalement.
Décors et costumes sont "modernes", hors du temps.. On se trouve dans un salon-bibliothèque assez luxueux. Les vêtements et les accessoires (on voit même Zerline manipuler un téléphone portable, un comble! plus tard on nous montre un revolver) nous situent au XX ème siècle.
Le jeu est assez physique, les personnages souvent très proches, au contact, parfois même dans une attitude assez explicite... et les acteurs sont, à certains moments, partiellement déshabillés.
Faut-il crier au scandale? Je ne crois pas.
La musique, importante tout de même dans un opéra, est belle, servie magnifiquement par l'orchestre baroque de Fribourg dirigé sans partition par un chef Mozartien et inspiré. Dire qu'on a "attenté à la musique" relève de l'affabulation. Cette version me plaît beaucoup plus que celle, entendue il y a quelques semaines, au Théâtre des Champs Elysées, du Mariage de Figaro, dirigée par un Jean Claude Malgoire pressé, heurté.
Dire qu'elle "passe à la trappe, donnant l'impression d'être dérangeante, qu'elle doive se dépêcher et hâter le tempo pour laisser le "chant" libre à l'espace scénique" dénote une certaine confusion, surtout si on évoque plus loin "le bonheur venu de la fosse, où s'épanouissent les sonorités somptueuses de l'orchestre baroque de Fribourg".
De même, qualifier "d'hystériques" le "trio des femmes qui peine parfois à trouver ses marques" révèle une tournure d'esprit surprenante, surtout chez une journaliste. A ce compte là, toutes les femmes le sont, dès qu'elles ouvrent la bouche.
"Cosi fan tutte" dit Mozart, avec beaucoup de mots et beaucoup de notes... ce qui n'est pas la même chose. :-)
Il est certain qu'on est loin ici de la retenue un peu guindée qui siérait au Palais Garnier ou à l'Opéra Bastille. Don Giovanni est l'un des opéras les plus souvent représentés, difficile de faire du nouveau dans ces conditions. Et puis, choquer un peu est une sorte de tradition: que n'a-t-on entendu à propos de mises en scènes catastrophiques, iconoclastes, à Salzbourg ou à Bayreuth ces dernières années?
Alors oui, Tcherniakov est iconoclaste, il bouscule la mise en scène comme Don Juan ses victimes, mais après tout pourquoi pas? Ce dispositif scénique fonctionne, il donne une force étonnante à la relation d'actes violents. Il s'agit ici d'abuser des femmes, de toutes les femmes, et faut-il vraiment le faire par allusions, sans en parler parce que ça ne se fait pas d'en parler?
On insiste beaucoup ici sur les rapports de force, sur l'emprise de ce personnage sur les autres pour obtenir ce qu'il veut à tout prix, y compris la vie des autres. On considère aujourd'hui un abus ou un viol comme un crime, c'est une histoire qui n'est pas nouvelle, pas terminée non plus.
Cette représentation est assez proche du film de Milos Forman, Amadeus, qui met en scène un Mozart libertin et provocateur, servi par des extraits musicaux somptueux.
Dans les deux cas, on est loin du Mozart joli et léger de la "Petite Musique de Nuit", c'est un personnage étonnamment moderne qui émerge, et qui met en garde les femmes en les incitant à se rebeller (même si on doit ensuite les traiter d'hystériques...) ou qui, ailleurs, remet en cause les inégalités sociales à la suite de Beaumarchais.
Dans la salle, réaction mitigées, quelques huées mais des applaudissements aussi, cela fait partie de la représentation, tout comme le silence, qui est encore du Mozart, dit l'autre.